Pour sécuriser et accélérer le processus de consultation, de nombreux éditeurs e-achats proposent un module d’enchères inversées. Utilisée pour garantir transparence et équité, la pratique se démocratise au sein des directions des achats, dont les plus matures ne cherchent pas à casser les prix mais à sélectionner les meilleures offres dans un contexte multicritère. S’appuyer sur un prestataire spécialisé, tel Acxias qui propose un service dédié, peut être nécessaire pour s’approprier le dispositif et maximiser les gains.
Dans leur rôle historique de négociateurs, les achats ont depuis longtemps à leur disposition un redoutable levier de performance : les enchères inversées. Initialement utilisée pour faire plier les fournisseurs, la pratique, désormais appliquée avec davantage de transparence et de maîtrise, est aujourd’hui beaucoup mieux acceptée. Pour autant, moins d’une entreprise sur deux y auraient recours, souvent avec parcimonie. Ainsi, bien qu’ils réalisent de longue date quelques enchères par an, le groupe La Poste et la Direction des achats de l’Etat (DAE) tardent à monter en puissance. Le groupe Saur, lui, n’y voit tout simplement pas d’intérêt. « Le processus d’enchères inversées trouve tout son sens sur des achats de « commodités », récurrents, sur des volumes importants avec peu de références, et sur des marchés sur lesquels la concurrence est forte », explique Serge Lamouroux, son directeur achats et logistique, au sein du Pôle eaux, en France. Or, Saur ne pratique pas ce type d’achats ».
De fait, le désintérêt des entreprises pour les enchères inversées tient d’abord au périmètre achat concerné. Si la plupart des catégories sont potentiellement candidates, dans le respect de la loi Jacob de 2005 qui exclut quelques domaines très spécifiques, il ne doit pas s’agir d’achats dont la tarification est soumise à des cours de marché, comme les matières premières ou agricoles, ou nécessitant un cahier des charges trop complexe. Par ailleurs, un certain nombre de prérequis doivent être remplis. Outre le fait qu’il faut avoir reçu des offres d’au moins deux fournisseurs, celles-ci doivent être techniquement comparables, sur tous les aspects autres que le prix.
Un tiers des éditeurs proposent les enchères
Au-delà, pas de limite. « Nous ne nous refusons aucune catégorie, même dans les services, à condition d’avoir cadré le dossier en amont pour éviter que des prix cassés ne conduisent à une dégradation en termes de qualité de service, de réactivité, d’innovation, etc. », explique Jean-Baptiste Anne, responsable Méthodes et systèmes d’information (MSI) à la direction des achats du groupe Société générale, où les premières enchères remontent à 2007. La pratique s’y était intensifiée à partir de 2010, avec une centaine d’opérations réalisées chaque année en moyenne, avant de retomber à une dizaine entre 2012 et 2015. En cause : l’indisponibilité de l’équipe MSI, chargée d’accompagner les acheteurs dans la définition de leur stratégie d’enchères, qui avait dû se focaliser sur un projet de déploiement d’un SI d’approvisionnement en prestations intellectuelles informatiques avec Oalia. Mais depuis deux ans et la mise en place de BravoSolution, la dynamique est relancée, avec une trentaine d’enchères par an en France et une cinquantaine à l’international.
S’il partage le même point de vue sur le périmètre adressable, Bouygues Télécom limite pour sa part les enchères aux catégories les plus pertinentes, en fonction de l’historique achats et des évolutions de marché. « Pour certains marchés, comme l’énergie, les fournisseurs sont défavorables », détaille Jean-Baptiste Allemand, responsable des outils et processus achats au sein du groupe, qui dispose d’un outil d’enchères depuis la mise en place d’Ariba, en 2011. « D’autres cas sont rédhibitoires, notamment lorsque des enjeux commerciaux sont en jeu, dans le cadre de relations client-fournisseur bilatérales », complète-t-il. D’abord peu utilisées, par méconnaissance, les enchères sont devenues l’un des outils majeurs de la fonction à partir de 2012-2013, suite à l’arrivée d’une nouvelle directrice des achats et d’un plan de départs volontaires. « Pour faire face à la réduction des équipes, elles se sont démocratisées, permettant d’augmenter la performance achats et les économies », justifie Jean-Baptiste Allemand. De cinq par an, sur un total de 500 dossiers achats menés par le groupe, le nombre d’enchères a atteint une trentaine en 2016.
Autre frein au développement des enchères, souvent évoqué par les directions achats : la durée de mise en œuvre des opérations, ainsi que la lourdeur des systèmes qui nécessite un long apprentissage. Conscients du problème, les éditeurs proposant les enchères œuvrent d’ailleurs dans le sens d’une simplification ou, au moins, assurent un meilleur accompagnement. Des éditeurs plutôt nombreux : sur la trentaine ayant rempli le questionnaire diffusé par Acxias pour réaliser les tableaux fonctionnels de son ouvrage « La Digitalisation des Achats », plus d’un tiers mentionnent une fonctionnalité pour conduire des enchères inversées. La fonctionnalité serait même présente dans quasiment toutes les suites intégrées couvrant l’ensemble de la chaîne achats, en particulier le processus amont source-to-contact. « Même si elles ne prévoient pas une utilisation immédiate, les entreprises vérifient souvent l’existence de ce module lors du choix de leur solution e-achat », analyse Bertrand Gabriel, directeur d’Acxias, ajoutant qu’« il arrive souvent qu’elles s’appuient sur un cabinet de conseil pour vérifier la faisabilité d’une opération et la pertinence d’un outil ».
L’accompagnement des fournisseurs est fondamental
A ces difficultés, s’ajoutent aussi les craintes exprimées par les équipes achats qui, outre une dégradation des relations avec les fournisseurs, redoutent de perdre la maîtrise de la négociation finale, l’étape la plus valorisante de leur fonction. La pratique montrerait, à l’inverse, qu’il n’y a pas de dégradation du travail des acheteurs, dont le rôle est renforcé lors de la phase préparatoire, qui permet d’abord de mesurer la pertinence de l’opération et éventuellement de choisir le meilleur modèle d’enchère : type, durée, etc. « Pour réaliser une enchère, les acheteurs doivent aussi recevoir l’accord de leur interlocuteur en interne, par exemple la DSI lorsqu’il s’agit de matériel informatique », précise Jean-Baptiste Anne. Une fois la démarche validée, il leur faut ensuite affiner l’expression du besoin, aider le partenaire interne à détailler le cahier des charges, valoriser le marché, analyser les risques, présélectionner les participants, etc. « Nous profitons aussi de cette phase pour revoir l’allotissement des dossiers, cadrer la stratégie de négociation et définir les règles d’attribution, pour les rendre facilement compréhensibles par les fournisseurs », poursuit-il.
Seulement, l’étude de marché et la réalisation d’un cahier des charges poussé, en amont, lors de la phase préparatoire, ne sont-elles pas trop chronophages ? « Ce travail est également nécessaire dans le cadre d’une consultation classique », rétorque Jean-Baptiste Allemand, chez Bouygues Télécom. S’y ajoute toutefois le nécessaire accompagnement des clients internes (prescripteurs, utilisateurs, etc.), avec l’appui du management qui doit s’impliquer et promouvoir l’outil pour faciliter son acceptation, et des fournisseurs. Avec ces derniers, le travail préparatoire est d’ailleurs fondamental. « La plupart des fournisseurs acceptent le principe, d’autres peuvent s’arc-bouter. Mais un accompagnement, pour expliquer les règles de fonctionnement et l’utilisation de l’outil, les rassure généralement », explique Jean-Baptiste Anne, de la Société générale, qui préfère aujourd’hui parler de « négociation digitale » ou de « compétition digitale » alors que le terme d’enchère est encore très connoté. Techniquement, « BravoSolution se charge de la formation des fournisseurs et intervient comme tiers de confiance lors de la conduite des enchères, en cas de question ou de problème technique, pour éviter aux interlocuteurs internes d’interférer pendant l’évènement ».
Chez Bouygues Télécom, où l’accompagnement des fournisseurs en amont inclut une formation et une enchère test, la veille de l’opération, les équipes restent disponibles pour répondre à toutes les questions. « Y compris pendant l’enchère qui peut être génératrice de stress chez les fournisseurs », précise Jean-Baptiste Allemand. « Il en va de la crédibilité de la fonction vis-à-vis d’eux, mais aussi des clients internes ». En revanche, poursuit-il, « Ariba n’intervient pas durant l’opération, pour ne pas empiéter sur le terrain des achats, suffisamment formés en amont. L’éditeur reste toutefois disponible en support, en cas de besoin des acheteurs, et pour vérifier le bon déroulement technique de l’enchère ». Au terme de l’enchère, les fournisseurs peuvent enfin demander des précisions, et même le nom du gagnant. A la Société générale, la démarche va même plus loin. « Nous prolongeons notre accompagnement auprès des fournisseurs qui n’ont pas été retenus, pour leur expliquer les raisons de leur échec », indique Jean-Baptiste Anne.
Une combinaison du prix et des critères de qualité
Au-delà de ces contraintes et des changements d’habitudes, « les achats doivent comprendre que les enchères leur permettent d’approfondir la négociation contractuelle, pour un travail produisant davantage de valeur ajoutée », tranche Jean-Baptiste Allemand. Avec des avantages à plusieurs niveaux. Les enchères garantissent d’abord plus de transparence, en termes de lisibilité et de compréhension du processus de négociations et d’attribution des marchés, du côté tant des clients internes que des fournisseurs. « Cela oblige les achats à être encore plus rigoureux dans l’application du processus métier, permettant ainsi une traçabilité accrue en cas de contestation une fois le marché attribué », précise Jean-Baptiste Anne.
Par la sécurisation du processus, les fournisseurs se sentiraient rassurés, et leur relation avec les acheteurs s’en trouverait renforcée. D’ailleurs, les entreprises adeptes des enchères estiment que les rapports avec les fournisseurs n’ont pas été détériorés. Mieux, les enchères tireraient ces derniers vers le haut. « Si aujourd’hui le principe des enchères inversées n’est pas toujours bien perçu par les fournisseurs, il leur permet d’améliorer leur performance », considère Pascal Poirier, chef de projet chez l’éditeur SynerTrade, historiquement positionné sur ce créneau. « Les enchères contribuent à instaurer une éthique de transparence, avec un effet très positif sur les fournisseurs qui collectent des renseignements et précisions utiles pour leur propre progression ».
La rapidité de négociation constitue un deuxième avantage. Les enchères ne remplacent pas les réunions fournisseurs, mais elles limitent les échanges et génèrent un gain de temps très significatif. « Si la phase préparatoire peut paraître plus longue, le dispositif permet de recevoir plusieurs dizaines d’offres sur un laps de temps très limité, en moins d’une heure généralement », assure Jean-Baptiste Anne, à la Société générale. Dans le schéma classique, il faut compter plusieurs semaines, voire des mois pour des achats critiques ou complexes.
Reste enfin l’intérêt économique du dispositif, puisque le prix demeure un critère de sélection important. Depuis quelques années, les entreprises ont toutefois tendance à lui donner moins de poids. « Aujourd’hui, nous ne faisons pas des enchères pour faire baisser les prix », assure même Jean-Baptiste Anne. « L’attribution se fait quasiment systématiquement au mieux-disant, en convertissant les offres techniques en équivalent euros et en appliquant un système de bonus aux propositions commerciales des fournisseurs ». Idem chez Bouygues Télécom, où le prix, qui reste un critère important vis-à-vis de l’objectif d’économies, est aujourd’hui pondéré jusqu’à 50 % par les aspects qualitatifs. « Pour mixer les deux aspects, nous affectons un coefficient de qualité au fournisseur et à son produit/service, selon des critères communiqués en amont », détaille Jean-Baptiste Allemand.
D’ailleurs, plutôt que de choisir la meilleure offre, l’opérateur télécom considère que les enchères inversées lui permettent d’éliminer celles qui ne l’intéressent pas. Pour cela, il pratique deux types d’enchères : « non attributives », qui visent à établir une short-list en réalisant un sourcing élargi, et « attributives », pour choisir une offre à partir de quelques fournisseurs préalablement sélectionnés par les équipes achats. « Les enchères peuvent également être utilisées pour l’attribution de volume d’affaires. C’est le cas avec les deux fournisseurs de notre Bbox, qui ont chacun un contrat en cours, tous les trimestres », Jean-Baptiste Allemand. Comme pour les catégories concernées, les potentialités des enchères semblent donc n’avoir aucune limite. Et les entreprises, avec éventuellement l’appui d’un prestataire extérieur, auraient tort de se priver de ce levier contribuant à installer des modèles vertueux au niveau leurs achats.